Sa famille et les éditions musicales Soul Makossa tentent toujours de mettre fin à l’exploitation illégale des œuvres du saxophoniste, et s’apprête à exhumer de nouvelles pépites, à travers une réédition des « Négropolitaines ».
La disparition de « Papa Dibango », le 24 mars 2020 à l’âge de 86 ans, a créé un grand vide. Ses fans s’en souviennent comme si c’était hier. Son hommage s’est fait sans tambours, ni trompette. Juste des rééditions des « Négropolitaines », qui retrace l’héritage riche et complexe du grand saxophoniste.
Il y a d’abord eu cet été la sortie en vinyle de Gone Clear, The Complete Kingstons Sessions (chez Soul Makossa), l’aventure reggae du Camerounais avec les pointures de la rythmique jamaïcaine Sly & Robbie. Plus récemment, Frémeaux et associés ont donné à réécouter les Négropolitaines.
L’album, imaginé avec le musicien de son vivant, réunit des titres déjà parus dans les Négropolitaines volume 1 et 2, sortis respectivement en 1989 et 1992 chez Soul Makossa. Il compose un tour d’Afrique mêlant compositions originales et standards, comme Indépendance Cha Cha du Grand Kallé ou Pata Pata de Miriam Makeba.
Des concerts en Côte d’Ivoire et au Cameroun
À part ces mélodies indispensables, mais déjà entendues, et un best of édité rapidement par Universal, aucun album d’hommages ou d’inédits à la mesure du géant de l’afro-jazz n’est sorti.
Sa famille, particulièrement meurtrie par les rumeurs annonçant prématurément la disparition de l’artiste, et qui a accompagné sa dépouille au cimetière du Père Lachaise, à Paris, en rangs resserrés, n’a toujours pas pu organiser les obsèques qu’elle souhaitait.
Son fils Michel évoquait cet été dans plusieurs entretiens des concerts « fin 2020, début 2021 » en France, mais aussi en Côte d’Ivoire ou au Cameroun. La pandémie a certes encore allongé les délais, mais le projet reste, chapeauté par Claire Diboa, la manager de l’artiste.
Et le Manu Dibango Orchestra (dont la plupart des membres sont issus du Soul Makossa Gang, la formation qui accompagnait Manu ces dernières années) entend bien faire vivre la musique du Camerounais en live.
Manu Dibango vivait grâce au cachet des concerts
Selon Thierry Durepaire, près de 80 % des éditions physiques ou digitales proposant les œuvres de Manu Dibango ne lui reversaient pas un centime.
« Manu ou Soul Makossa n’étaient pas rémunérés ! s’insurge le gérant. C’est difficile à croire, mais il a vécu tout ce temps essentiellement grâce aux cachets des concerts, et non de l’exploitation de son œuvre discographique. Quand j’ai mis les choses à plat en 2015 et que je lui ai expliqué la situation, il était profondément abattu. Ce n’était pas qu’une question financière. Manu souffrait surtout d’avoir été dépossédé de son œuvre. ».
Les éditions musicales Soul Makossa ont donc passé plusieurs années (et continuent aujourd’hui) à faire la chasse aux contenus illégaux. Ce qui n’est pas de tout repos.
« Un jour on a reçu des représentants du label anglais MRC qui voulaient faire un album avec nous, raconte Thierry Durepaire. On leur a dit qu’on était contents de les rencontrer car ils commercialisaient déjà 28 disques de Manu sans qu’on ait reçu de royalties ! Ils ont quand même sorti deux albums dans la foulée, sans notre accord ».
« Les Négropolitaines », un hommage panafricain
« Quand on a travaillé avec Manu sur la réédition des « Négropolitaines », on n’imaginait pas que ce serait notre dernier album ensemble, confie avec tristesse Patrick Frémeaux. Il aimait bien Frémeaux et associés parce que nous étions l’éditeur d’enregistrements sonores de Leopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf, et que nous avons aussi une galerie d’art qui défend l’art coutumier depuis plus de 30 ans.
Il partageait notre ambition d’envisager l’Afrique dans sa totalité : arts, paroles, musiques… Lui avait une vision « levi-straussienne », panafricaine, qui l’a amené dans les « Négropolitaines » à rendre hommage à toutes les musiques du continent, bien au-delà de celles du Cameroun. »
Ces albums, enregistrés dans divers studios parisiens, convoquent la fine fleur de la diaspora musicale africaine, et notamment l’immense batteur Tony Allen, également disparu cette année. On y retrouve le meilleur des rythmiques du continent (et des Antilles) : beat mandingue, afrobeat, high life, soukouss, rumba, biguine…
Bien sûr, le son « world » de l’album, le projet même de fédérer les musiques africaines, pourront peut-être paraître un peu datés. Mais la générosité de Manu Dibango emporte tout, dès ce « Panafrican Jam », titre choisi pour inaugurer la réédition en chaloupant.
« Le disque apporte un focus dans une société de l’information où tout va très vite, et où une image ou un son sont très rapidement remplacés par d’autres, estime Patrick Frémeaux. Avec Manu, nous avons pris en compte des morceaux accessibles pour des personnes de 30 ou 40 ans aujourd’hui ».