Après un voyage en bateau de trois jours depuis le Sahara occidental, Mohceine Ait Lamadane a atteint les Canaries et de là s’est rendu en Italie, profitant d’un système inondé par les arrivées et ralenti par le coronavirus.
« J’ai payé 2 000 euros (2 430 dollars) pour la traversée », a déclaré à l’AFP fin novembre Mohceine Ait Lamadane, 23 ans, après avoir débarqué au port d’Arguineguin, à Gran Canaria, où les garde-côtes espagnols déposent les migrants récupérés en mer.
Et à peine 10 jours plus tard, il était en Italie « avec ses deux frères », a confirmé son cousin Moulay Omar Semlali, 40 ans, qui vit à Gran Canaria, la plus grande île de l’archipel.
C’est Semlali qui l’a récupéré à Arguineguin, un petit port de pêche qui, ces derniers mois, a été au cœur de la crise, avec son campement temporaire – qui n’a été installé que pour traiter les migrants et faire des tests de dépistage de virus – complètement débordé.
À un moment donné, plus de 2 100 personnes y séjournaient, dormant pour la plupart à la dure sur le sol dans des conditions déplorées par les groupes de défense des droits internationaux, les politiciens et les responsables juridiques.
Suite à ces critiques, le gouvernement a démantelé le campement le 30 novembre, après avoir annoncé son intention de construire des camps d’urgence pour accueillir 7 000 personnes.
En temps normal, lorsqu’une personne entre illégalement en Espagne, la police l’identifie et prend un arrêté d’expulsion, sauf dans les cas où elle peut prétendre à la protection internationale en tant que réfugié.
Le processus doit être mené à bien dans les 72 premières heures car après cela, « la détention est illégale », explique Daniel Arencibia, un avocat qui travaille avec les migrants à Gran Canaria.
Ils sont ensuite envoyés dans un camp temporaire où ils attendent d’être renvoyés chez eux.
Mais ce délai de trois jours n’a pas toujours été respecté par les autorités, qui ont été complètement débordées par l’arrivée de près de 20 000 personnes cette année, soit dix fois plus qu’en 2019.
Après 72 heures, libre à vous de partir
En novembre, un juge local s’est exprimé pour rappeler aux autorités que les migrants ne peuvent plus être détenus « contre leur volonté » au-delà des 72 heures initiales.
Les personnes en attente d’expulsion ne peuvent pas non plus être envoyées dans des centres de détention temporaire, dont la plupart ont été soit fermés, soit contraints de limiter radicalement leur capacité d’accueil en raison de la pandémie, qui a également mis les rapatriements en attente.
Bien que le gouvernement ait écarté l’idée de transférer les migrants vers le continent espagnol – comme l’exigeaient les autorités des îles Canaries – les fonctionnaires admettent que certains ont réussi à faire le voyage eux-mêmes et, de là, à se rendre dans d’autres parties de l’Europe.
Avant la fermeture d’Arguineguin, de nombreuses personnes se sont présentées au port pour rechercher des parents ou des amis, a déclaré un journaliste de l’AFP.
Abdel Rostom, un ressortissant marocain qui vit à la Grande Canarie, est venu chercher le parent d’un ami qui était arrivé par bateau « pour l’envoyer sur le continent espagnol ».
Et quand environ 200 migrants se sont présentés dans la ville de Grenade, dans le sud du pays, la droite et l’extrême droite du gouvernement espagnol l’ont accusé d’avoir affrété un avion pour les faire venir partout.
Mais le gouvernement a nié cette allégation, affirmant qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient et qu’ils avaient acheté des billets d’avion avec leurs propres moyens.
Porte de l’Europe
« La majorité des arrivées de ces derniers mois sont des personnes qui peuvent être renvoyées » au Maroc ou dans d’autres pays africains, a déclaré le mois dernier Hana Jalloul, ministre espagnole de l’immigration.
Mais certaines personnes « viennent de partir, parce qu’elles sont libres et qu’elles ont des réseaux familiaux (ailleurs) », a-t-elle déclaré.
En pleine offensive diplomatique pour réactiver les expulsions, le ministère de l’intérieur ne fournit pas de chiffres sur ces cas.
Jose Luis Guedes, secrétaire général du syndicat de police SUP aux îles Canaries, affirme que de nombreux Nord-africains arrivent avec tous leurs passeports et cartes d’identité intacts.
« Ils savent qu’ils ne peuvent pas être expulsés, qu’ils sont libres, et ils parviennent à se rendre par leurs propres moyens en Espagne continentale où ils disparaissent », a-t-il déclaré à l’AFP.
« Ils vont en France, en Belgique, en Allemagne qui est leur véritable destination », a-t-il expliqué.
« Ils ne veulent pas rester aux îles Canaries, c’est juste un tremplin ».