L’Érythrée va retirer ses troupes de la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, a déclaré vendredi le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, une percée potentielle dans un conflit interminable qui a vu des atrocités commises contre des civils.
Cette annonce intervient alors qu’Abiy, lauréat du prix Nobel de la paix 2019, est confronté à une pression croissante pour mettre fin aux combats dans lesquels les troupes érythréennes et éthiopiennes sont accusées d’abus, notamment de massacres et de viols.
Abiy a envoyé des troupes dans le Tigré le 4 novembre après avoir accusé le parti au pouvoir autrefois dominant dans la région, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), d’être responsable d’attaques contre des camps de l’armée.
Pendant des mois, Addis-Abeba et Asmara ont nié la présence de troupes érythréennes dans le Tigré, contredisant les récits des habitants, des travailleurs humanitaires, des diplomates et même de certains responsables civils et militaires éthiopiens.
M. Abiy a finalement admis le rôle de l’Érythrée lors d’une comparution devant les législateurs mardi, puis s’est rendu jeudi à Asmara pour rencontrer le président érythréen Isaias Afwerki.
Au cours de cette visite, « le gouvernement érythréen a accepté de retirer ses forces de la frontière éthiopienne », a déclaré M. Abiy dans un communiqué publié sur son compte Twitter vendredi.
« La Force de défense nationale éthiopienne prendra en charge la garde des zones frontalières à compter de maintenant ».
Le ministre érythréen de l’information, Yemane Gebremeskel, n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire par courriel.
Massacres
L’Éthiopie et l’Érythrée se sont livrées une guerre frontalière à partir de 1998, qui a fait des dizaines de milliers de morts et abouti à une impasse de deux décennies.
Abiy a gagné son Nobel en grande partie pour avoir initié un rapprochement surprise avec Isaias après son entrée en fonction en 2018, mais l’Érythrée et le TPLF sont restés des ennemis acharnés.
Dans son vaste discours au parlement mardi, Abiy a déclaré que le « peuple et le gouvernement érythréens ont fait une faveur durable à nos soldats » pendant le conflit au Tigré.
Dans sa déclaration de vendredi, il a noté que le TPLF a tiré des roquettes sur Asmara à plusieurs reprises, « provoquant ainsi le gouvernement érythréen à franchir les frontières éthiopiennes pour empêcher de nouvelles attaques et maintenir sa sécurité nationale. »
Pourtant, Abiy a seulement reconnu que les troupes érythréennes ont repris des zones le long de la frontière, y compris des tranchées creusées pendant la guerre frontalière, après qu’elles aient été abandonnées par les soldats éthiopiens.
Les groupes de défense des droits et les habitants du Tigré ont décrit une présence érythréenne beaucoup plus profonde.
Amnesty International et Human Rights Watch ont accusé les troupes érythréennes d’avoir tué des centaines de Tigréens lors d’un massacre perpétré en novembre dans la ville d’Axum.
L’AFP a documenté séparément un massacre qui aurait été perpétré par des troupes érythréennes dans la ville de Dengolat, également en novembre.
Lors d’une visite ce mois-ci dans la ville de Wukro, à seulement 50 kilomètres (30 miles) au nord de la capitale régionale Mekele, les résidents ont déclaré à l’AFP que les soldats érythréens étaient toujours présents, parfois en uniforme éthiopien pour se déguiser.
Abiy a déclaré aux législateurs que tout abus commis par des soldats érythréens serait « inacceptable », disant qu’il avait soulevé la question « quatre ou cinq fois » avec Asmara.
Une annonce « inutile »
Le parti d’opposition tigréen Salsay Weyane Tigray a déclaré vendredi que tout accord sur le retrait de l’Érythrée serait « inutile » sans « un organisme international de régulation pour vérifier ».
« C’est un autre niveau de tromperie ; un jeu qu’ils jouent depuis longtemps », a déclaré sur Twitter Hailu Kebede, chef du département des affaires étrangères du parti.
« Retirez toutes les forces et mettez en place une équipe d’observateurs internationaux. Le monde ne doit pas être dupé, encore une fois. »
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a appelé à la sortie des Érythréens ainsi que des forces de la région éthiopienne d’Amhara, qui ont joué un rôle clé dans la sécurisation de certaines parties de l’ouest et du sud du Tigré.
Les responsables de la région Amhara affirment toutefois que ces parties du Tigré leur appartiennent de droit.
M. Abiy a revendiqué la victoire dans le Tigré fin novembre après la prise de Mekele par les troupes éthiopiennes, mais les dirigeants du TPLF restent en fuite et les combats se poursuivent.