Annoncé en grande pompe à la fin 2019, le Plan présidentiel pour la reconstruction des zones touchées par la crise anglophone piétine. Et la pandémie de coronavirus, invoquée par le gouvernement, est loin d’en être la seule cause…
Le Cameroun vit depuis bientôt cinq ans un conflit destructeur dans ses régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. En cinq ans, un grand nombre d’infrastructures et d’édifices construit par l’État ou des particuliers ont été dévastés. En 2019, le gouvernement faisait état d’au moins 350 écoles, 115 centres de santé, 40 ponts, 400 points d’eau, 500 kilomètres de lignes électriques basse tension, 45 marchés, près de 12 000 maisons et 100 000 ha de plantation à reconstruire. À ce bilan matériel s’ajoute des traumatismes psychiques dus aux affres d’une guerre dont le bilan humain est estimé à plus de 3 000 morts et 550 000 déplacés internes et externes, selon des chiffres communiqués par les Nations unies en 2019.
Si ces bilans sont depuis dépassés en raison de la poursuite des combats et de leur lot de dégâts, Yaoundé est déterminé à engager sans délais la reconstruction des régions affectées. Le 18 mai dernier, le Premier ministre Joseph Dion Ngute a ainsi rencontré les principaux patrons d’entreprises du pays réunis au sein du Groupement inter-patronal camerounais (Gicam), afin de solliciter leur appui au Plan présidentiel de reconstruction et de développement (PPRD) lancé par le président Paul Biya fin 2019 et issu du grand dialogue national. Une visite inédite au cours de laquelle le chef du gouvernement et son équipe ont fait le point sur ce projet étalé sur 10 ans, décliné en trois phases : le relèvement, la reconstruction et le développement.
Maigre résultat
Le ministre Paul Tasong, coordonnateur dudit Plan, a révélé que sur un budget initial de 89 milliards de F CFA (environ 136 millions d’euros), seuls 10 milliards avaient pu être collecté deux ans après le lancement du programme. « 3,5 milliards sont déjà affectés aux travaux de réhabilitation de certaines infrastructures scolaires et sanitaires. Au 15 avril 2021, le taux d’exécution des travaux de la phase 1 affiche 25 % », a-t-il indiqué. Un bien maigre résultat à un an de la fin de cette première étape 2020-2022 consacrée à la promotion de la cohésion sociale, la réhabilitation des infrastructures sociales de base ainsi qu’à la revitalisation de l’économie locale et censée faire entrer le pays dans la phase de l’après-guerre.
Comment expliquer le faible engouement autour de ce programme de reconstruction ? L’optimisme du gouvernement camerounais se heurte à la réticence des bailleurs à renflouer les caisses du PPDR. Si, lors de sa présentation le 5 mai 2020, 10 % des 89,682 milliards de F CFA du budget global avaient été mis à la disposition du PNUD – le partenaire technique chargé de la réalisation de ce programme – par le Cameroun, le Japon reste à ce jour le seul partenaire bilatéral à avoir contribué à cette cagnotte, plus d’un an après son lancement. Et ce malgré les multiples appels lancés par le gouvernement à destination des potentiels bailleurs de fonds.
Selon le ministre Paul Tasong, la crise sanitaire occasionnée par le coronavirus serait à l’origine de cette situation. Face aux patrons, le coordonnateur du plan de reconstruction a révélé qu’une « mission se serait déjà rendu dans des pays donateurs pour lever les fonds promis si le Covid n’avait pas tout bloqué ».
Un avis que ne partagent pas les responsables d’ONG locales, qui craignent que ce projet ne se transforme en rocher de Sisyphe. « Nous sommes en pleine guerre, on tue nos soldats qui tuent les séparatistes et, au milieu, on a des civils, affirme Ayah Junior, président de la fondation Ayah, qui prend en charge de jeunes orphelins dans la ville de Buea. Mettons un terme à cette guerre en signant un cessez-le-feu et les choses se feront naturellement. On a besoin de reconstruire, mais ce n’est pas le moment propice pour cela. »
Sur le terrain, en effet, les armes sont loin de s’être tues. Début mai, le commandement militaire a dû renforcer ses effectifs de 300 soldats supplémentaires dans le département de la Momo (Nord-Ouest), afin de mener l’Opération « Kumbo clean ». La première phase de cette opération s’est soldée par la neutralisation de trois généraux ambazoniens. Le 14 juin, une attaque attribuée aux séparatistes a entrainé la mort de deux personnes dans le département du Fako. Trois jours plus tard, les autorités annonçaient le kidnapping de cinq délégués départementaux dans la région du Nord-Ouest. Conséquence de cette instabilité, le chantier de la route reliant la ville de Bamenda à celle de Babadjou, dans la région francophone de l’Ouest, piétine depuis quatre ans, perturbant fortement le trafic entre la région du Nord-Ouest et le reste du pays.
L’ONU embarrassée
Lors d’une intervention devant le Conseil de sécurité, le 7 juin dernier, le représentant du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique centrale, Francois Lounceny Fall, a indiqué que « la violence dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun n’[avait] pas diminué ». « Une nouvelle escalade de la crise entraîne davantage de souffrances pour la population civile et des violations généralisées des droits humains, aggravées par l’impact de la Covid-19 », avait-il ajouté. A-t-il volontairement omis d’évoquer le PPRD en cours ? Au sein des instances locales des Nations unies, la question de la reconstruction embarrasse, alors même qu’un cessez le feu n’a toujours pas été trouvé. Et le PNUD refuse de répondre aux questions des médias.
Les autorités camerounaises n’ont en tout cas pas l’intention d’attendre que la paix revienne dans l’ensemble des régions pour lancer la phase de reconstruction. « Plus de 90% de la population a tourné le dos aux sécessionnistes, a expliqué Joseph Dion Ngute aux patrons du Gicam. Hormis le département du Lebialem (Sud-Ouest), du Mbui et de la Momo [Nord-Ouest], qui demeurent des poches d’insécurité, les sept autres départements des deux régions sont revenus à la vie normale ». Selon le plan présidentiel, les travaux devraient dès lors se faire progressivement à partir des zones déjà pacifiées.
Yaoundé réussira-t-il son pari ? À la suite des appels du Premier ministre, les opérateurs économiques ont versé 800 millions de F CFA de plus dans les caisses du PPRD. Ils souhaitent un retour rapide à la paix et ont rassuré les autorités camerounaises sur leur volonté de s’impliquer. Un soutien d’autant plus indispensable que cette mission semble visiblement mal engagée.
Source : Jeune Afrique