Attaqué par la presse camerounaise sur ses « négligences mortelles » en matière de sécurité, la discrimination raciale, sa gestion opaque et la pollution, Perenco, prétendument « discret », est sorti de son mutisme. Non pas pour répondre de ses manquements, mats pour crier au complot. L’hôpital se moque de la charité.
CJ est à Jeune Afrique qu’a décidé de parler Benoît de Fouchardière, le Directeur général du groupe Perenco.
Une aubaine pour notre confrère parisien qui, depuis des lustres, s’échine pour obtenir ne serait-ce qu’une virgule du pétrolier franco-britannique. On imagine qu’après les dénonciations fondées de la presse camerounaise, les dirigeants de Perenco ont décidé de répliquer.
Ligne de défense ? Le complot. Pas moins ! François Hubert Marie Perrodo, le grand patron du groupe, a lâché son lieutenant avec des consignes claires : rester dans le déni et l’esquive. C’est du moins ce qui ressort de l’entretien accordé au panafricain. Et Benoît de Fouchardière, aux commandes depuis 2015, véritable Adn de ce groupe qui, par ses méthodes, peut tutoyer n’importe quelle mafia, ne s’est pas fait prier : « La vérité, c’est que notre réussite fait des jaloux », attaque-t-il.
Voilà, c’est dit. Perenco n’a rien à se reprocher. Les gens veulent sa perte. C’est un extracteur saint à qui en veulent tous les méchants de la Terre. C’est donc par pure jalousie que partout où Perenco est présent en Afrique, il y a soit une fronde sourde ou ouverte, soit des mouvements sociaux t>u carrément des actions en justice contre le groupe. Autrement dit. ils sont irréprochables sur toute la ligne.
Sur leurs accointances avec les autorités qui en font des seigneurs voire de puissants hors-la-loi, en l’occurrence au Gabon où ils sont premier producteurs, le Directeur Général de Perenco répond, pince sans rire : « Nous avons tissé de bonnes relations avec les autorités gabonaises car elles ont compris depuis longtemps l’intérêt de valoriser leurs champs matures grâce au savoir-faire technique de Perenco, reconnu localement. Nous -avons su également nous montrer à l’écoute de leurs besoins, notamment en matière énergétique, pour leur proposer des infrastructures Gas-to-Power essentielles pour l’électrification du pays ».
Des larmes de crocodile pour noyer le poisson
Benoît de Fouchardière omet royalement de dire qu’au moment où il se gausse des bonnes relations de son groupe avec les autorités gabonaises, une plainte l’attend au tribunal. En effet, les habitants de la presqu’île d’Etimboué à l’ouest du Gabon, dans leur combat contre les activités pétrolières de Perenco, ont joint leurs forces à celle du Réseau des organisations libres de la société civile pour la bonne gouvernance au Gabon (ROLBG) pour essayer de corser leur offensive.
Cette coalition a déposé plainte contre Perenco depuis le 15 janvier 2021 au Tribunal de première instance de Port-Gentil. L’action en justice vise une « indemnisation des populations victimes des impacts socio-économiques desdits crimes et pour le paiement des fonds communautaires, jamais perçus ».
Avant qu’ils se résolvent à ester en justice, les résultats de l’enquête commandée début octobre 2020 étaient implacables : «L’impact environnemental des activités d’extraction de l’entreprise Perenco affecte principalement la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les ressources halieutiques et la santé des populations ».
Leurs démarches en direction de Perenco pour obtenir réparation n’ont eu pour toute réponse qu’un silence méprisant. Même la vidéo de 46 minutes intitulée «Etimboué ou la dictature du pétrole», présentant la marée noire et les écoulements d’hydrocarbures ayant pollué eaux et terres, rendant l’agriculture et la pêche quasi impraticables, a laissé les responsables de Perenco de marbre.
De leur côté, les autorités gabonaises se sont contentées de promettre de « suivre cette affaire de près ». On peut dès lors comprendre l’arrogance des dirigeants de Perenco vis-à-vis des communautés où ils sont installés. Le sort de ces ’communautés leur importe peu dès lors qu’ils ont l’onction du pouvoir politique.
Et si d’aventure la législation est flexible comme en Rd Congo, Perenco affiche les mêmes arrogance et indifférence qu’au Gabon. Cette déclaration de Benoît de Fouchardière ne doit en aucun cas illusionner Quant aux relations avec les communautés locales, nous avons une politique de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) très spécifique.
Contrairement à d’autres compagnies, nous ne l’avons pas déléguée à des prestataires extérieurs, mais internalisée car il s’agit de répondre aux véritables besoins des populations rencontrées sur place. À Muanda par exemple, nos équipes vivent parmi la population, y compris les ingénieurs expatriés.
En concertation avec les acteurs locaux, nous avons lancé des chantiers autour de l’accès à l’électricité et à l’éducation, l’agroforesterie ainsi que la recherche de solutions pour mieux conserver le poisson pour pouvoir le vendre à Kinshasa ». Ainsi donc, Perenco Rep (du nom de sa filiale congolaise) est si performante côté RSE que Muanda, son site d’exploitation onshore, a été baptisée depuis son arrivée « ville pétrolière la plus pauvre du monde » !
Le sommet de l’intégration, dit de Fouchardière, « les ingénieurs expatriés » vivent parmi les populations à Muanda ! Oui, les Blancs sont descendus de leur paradis pour se mêler aux Noirs dans leur enfer. Mais ceux-là partagent-ils le quotidien de cèux-ci depuis leurs villas cossues, avec , leurs salaires à huit chiffres ou en passant dans leurs grosses cylindrées climatisées, vitres fumées, empoussiérant de pauvres hères déjà fourbus de pollution ? À chacun de répondre.
Dans son rapport sur l’impact environnemental de Perenco en Rd Congo, on peut lire cette phrase apparemment anodine, mais qui en dit long sur la politique cynique et malfaisante du pétrolier : « Sur tout le territoire de Muanda, les exemples sont nombreux de projets en faveur des communautés locales qui ont comme principal mérite de pouvoir-afficher le logo de l’entreprise sur deifaçades repeintes. »
Crevez, et puis quoi ?
Les nombreux procès intentés au groupe Perenco depuis quelques années seraient ainsi autant de procès en sorcellerie contre une multinationale familiale qui n’a rien fait et qui ne doit rien à personne. Ce n’est nullement le résultat dévastateur d’un capitalisme à outrance, froid, sourd et aveugle sur la qualité de vie et sur les intérêts des populations propriétaires des gisements exploités.
En juillet 2018, Avocats sans frontière (Ong belge) et I Watch (Ong tunisienne) avaient saisi le Point de contact national (PCN) français de l’OCDE au sujet des activités du Groupe Perenco dans le gouvernorat de Kebili, dans le sud tunisien, parce que celui-ci refusait de donner dés informations sur l’impact de ses activités sur l’environnement. Deux autres Ong, Sherpa et les Amis de la Terre avaient, toujours en 2018, engagé des actions devant la justice française avant que Perenco se débrouille pour annihiler leur efficacité.
C’est que n’ayant que peu de compte à rendre aux Etats, le groupe français voit mal pourquoi il devrait en rendre aux Ong : « Nous n’avons pas de comptes à rendre à des organisations dont les rapports sont à charge, certaines d’entre elles ayant essentiellement pour leitmotiv la disparition pure et simple de l’activité pétrolière », dit le directeur général, subitement bavard, avant de relever la mise en place de « procédures de protection de l’environnement, d’hygiène et de sécurité extrêmement robustes, conformes non seulement aux réglementations locales, mais aussi aux standards internationaux ».
Les communautés de Muanda en Rd Congo, d’Etimboué au Gabon, de la région de Kebili en Tunisie ou même celles de la Laguna del Tigre au Guatemala, apprécieront. Elles qui. quotidiennement, subissent impuissantes les effets désastreux sur leur environnement, leur santé et leurs cultures du vorace pétrolier.
« Avec . notre filiale Petrodec, nous sommes les seuls à avoir -tancé une activité de démontage complet* de puits de pétrole ayant cessé de produire, et de traitement ad hoc de l’environnement. Aujourd’hui Petrodec travaille sur deux rigs au Royaume-Uni, en mer du Nord, mais demain ses services pourraient être sollicités partout, notamment en Afrique, pour assurer une fermeture propre des sites extractifs ». Qui peut le plus, ne peut-il faire le moins ? C’est là le plus étonnant dans la démarche de ce groupe.
Benoît de Fouchardière a fait le tour en évitant soigneusement d’évoquer les négligences qui ont causé la mort par accident de trois de ses employés sur ses plateformes camerounaises. Nous parlions d’esquive. A Perenco, quand on n’a pas de réponse ou quand la langue de bois ne fait plus l’affaire, on botte en touche. On efface le problème d’un revers de la main. C’est ce qu’a fait Adrien Broche, le patron de la filiale camerounaise, sur la question, comme sur d’autres préoccupations des employés. Sachant qu’il a l’onction de l’Etat camerounais, peu regardant sur ses méthodes de gestion, il peut se permettre de prendre par-dessous la jambe les revendications du personnel.
En définitive, que faut-il retenir de cette sortie forcée des dirigeants de Perenco ? Benoît de Fouchardière ne l’a pas dit, mais ça sonne si fort entre les lignes : « Nous ne changerons rien de notre gestion. Crevez tant que vous êtes, nous n’en serons que plus riches !»
La Voix du Centre