L’adoption du bitcoin comme monnaie légale en République centrafricaine a soulevé plusieurs questions chez certains analystes financiers à travers l’Afrique.
On soupçonne que le seul Etat avec El Salvador à l’avoir fait est immédiatement suspecté de vouloir favoriser des transactions douteuses, à l’heure où le régime est sous le feu de l’ONU.
Moscou est sous le coup de sanctions économiques internationales depuis l’invasion de l’Ukraine et Bangui se plaint constamment d’un embargo sur les armes de l’ONU depuis 2013.
Le 28 avril, le président Faustin Archange Touadéra a fait l’annonce surprise que le parlement de ce pays très pauvre d’Afrique centrale avait voté une loi « régissant toutes les transactions » en crypto-monnaies et faisant du bitcoin une « monnaie de référence » aux côtés du franc CFA.
Son application pratique semble tout à fait hypothétique dans un pays de 5,5 millions d’habitants.
Qu’est-ce que c’est ça?
Devant l’un des rares guichets automatiques de la ville, la légalisation du bitcoin laisse perplexe.
« Qu’est-ce que c’est? » demande Sylvain, la trentaine, dans la file d’attente. « Je ne sais pas ce que sont les crypto-monnaies, je n’ai même pas internet », rigole plus loin Joëlle devant son petit étal de légumes.
« Nous allons éduquer la population et passer bientôt à la fibre optique et une faible connexion internet suffit pour acheter de la crypto-monnaie », a assuré à l’AFP le porte-parole du gouvernement Serge Ghislain Djorie.
Même parmi les rares hommes d’affaires susceptibles d’avoir les moyens, les connaissances et la technologie pour l’utiliser, la loi laisse perplexe.
« Je n’ai aucun intérêt à avoir des bitcoins ici, nous n’avons aucune infrastructure, aucune connaissance pour nous lancer dans cette aventure, il n’y a pas d’unité de cybercriminalité pour garantir la sécurité », explique un entrepreneur de Bangui qui souhaite rester anonyme, ajoutant : « il y a d’autres des priorités comme la sécurité, l’énergie, l’accès à l’eau, internet, la construction de routes… »
« Bien que le bitcoin puisse faciliter certaines transactions, c’est un choix étrange comme moyen de paiement régulier » dans un tel pays, estime Ousmène Jacques Mandeng, professeur à la London School of Economics and Political Science.
Les États qui adoptent une autre devise choisissent généralement une devise plus stable que la leur (dollar américain, euro), car le prix du bitcoin est extrêmement volatil.
Volatilité
« Une volatilité excessive du bitcoin se traduit par des fluctuations des économies, de la consommation et de la richesse des ménages » si la crypto-monnaie est adoptée, prévient Ganesh Viswanath-Nastraj, professeur à la Warwick Business School.
« Il existe actuellement un processus de cadre concerté entre les six pays de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEMAC), les autorités anti-blanchiment et les régulateurs pour légiférer sur les cryptomonnaies », mais « nous n’avons pas été notifiés par Bangui de sa décision », a déclaré Didier Loukakou, directeur de la réglementation à la Commission de surveillance des marchés financiers de l’Afrique centrale (Cosumaf).
Bangui a surpris tout le monde par l’incongruité d’une législation autorisant l’utilisation de la monnaie numérique dans un État en guerre et au bord de la faillite, qui ne peut nourrir sa population sans aide humanitaire internationale, ni payer tous ses fonctionnaires sans donateurs étrangers. Et dont le ministre de l’Economie vient de juger « alarmant » l’état des finances publiques.